Par Gisèle Bart, Journal des Citoyens (CA), Samedi 15 mars 2014
► Le samedi 15 mars à Prévost, M. Yvan Gladu, président du DAG, bardé de son humour habituel, nous a présenté, le trio Guitares Nomades en ces termes: “Comme vous pourrez le constater, les musiciens que vous allez entendre ont plusieurs cordes à leurs guitares. Je vous souhaite beaucoup de plaisir!” Effectivement, que se réunissent en un trio ces trois amis aux antipodes les uns des autres, Alexandre Éthier à la guitare classique, Dan Livingstone à la “finger style” et Stéphane Tellier à la manouche, relevait déjà de l’audace. Qu’ils nous jouent tout aussi brillamment autant du Django Reinhardt que du Chopin tenait du défi, hautement relevé, disons-le.
“Par là passèrent trois jeunes et beaux garçons” dit la chanson. L’un, visage glabre, arbore des cheveux noirs lissés et laqués, retenus sur la nuque en catogan. L’autre, un gaillard, cheveux blond-roux semi-longs, barbe hirsute, est chapeauté. Enfin, le troisième, cheveux bruns bouclés, barbe bien taillée, ne donne pas l’image d’un gitan. Mais à son instrument, sa musique l’est, sans contredit. Les trois sont compositeurs et nous joueront de leurs propres oeuvres. Alexandre sera plutôt le présentateur tandis que Dan chantera plusieurs pièces d’une voix grave magnifique, de la même tessiture que son rire. Quant à Stéphane, il nous éblouira par ses prouesses à la Django.
D’emblée, dès les premiers accords, Dame Beauté est sur la scène. On reconnait les airs parmi toutes ces notes.Chez le manouche, on distingue le son de baguettes entrechoquées et celui d’un bâton de pluie. Hélas, je n’ai pas eu le loisir de me faire expliquer à comment on peut produire de tels sons avec une guitare. La lune se lève. Il pleut des étoiles. Puis, voici la course folle des doigts. Nous sommes passés sans transition des valses de Lauro à Sara puis à Reinhardt.
J’avais lu dans une critique gourmande l’importance du poulet frit aux “USA”. Mais je ne m’attendais pas à ce que l’on compose une pièce musicale sur ce plat… Merle Travais l’a fait en un Ragtime “effiloché” joué par nos comparses, suivi d’une marche mélancolique à la finale sublime, composée par un bluesman converti en pasteur, Gary Davis.
Dans ce concert des plus éclectiques, chacun aura son solo. Un solo manouche de Tellier, sa propre composition, contemporaine. Puis, de l’importance du poulet frit aux EU, nous passerons au rôle primordial des trains dans ce même pays avec une pièce de Livingstone. Le rythme et le son d’un train qui file à toute allure, puis, l’arrêt de la locomotive en un bel accord bien fignolé. Une performance! Quant à lui, Éthier nous régalera avec un compositeur qu’il affectionne tout particulièrement, Carlo Domeniconi. Magique ! Enfin, avant la pause, avant Le petit bonhomme effréné de Tellier, le triumvirat nous servira sur une assiette en or les ingrédients des trois guitares différentes mêlés en un plat succulent, un délice des dieux de Manuel de Falla.
Je l’ai déjà mentionné, ce spectacle fut étonnamment éclectique. Après rien de moins qu’un Duke Ellington, nos guitaristes, comme des larrons en foire, se taquinèrent entre eux : « Jouer du Chopin avec un cow-boy, faut être fous ! » Belle folie ! Ce fut merveilleux comme un vent léger qui nous berce d’une valse lente. Un enchantement qui se prolongea par un Villa-Lobos rêveur, une touche moderne, une note finale, si fine qu’on l’ aurait crue à l’origine de l’expression « fine mouche ».
« J’ai eu une chaloupe avant d’avoir un char ! » nous dira Alexandre pour présenter la prochaine pièce, Le chenail aux corbeaux, une pièce intrépide suivie des Oiseaux, naïve et entraînante, joliiiiiiii ! diraient les Français. Passer de ceci à un Vivaldi annonciateur de printemps fut un passage logique et celui-ci fut joué avec une incomparable virtuosité, rompant avec la tradition « qu’on ne joue pas Vivaldi à la guitare ! »
Nous nous dirigions vers la fin du spectacle. C’est bouleversé par la violence de certains policiers envers lui lors des événements de 2012 que Alexandre avait écrit la prochaine pièce, Prelude to War, plus triste que revendicatrice, arrangée par Dan puis amalgamée à une autre pièce de Clarence Jefferson datant des années 1900 sur le même sujet. J’ai cru y entendre le Give peace a chance du trio.
En conclusion, un bel hommage fut rendu à Mme Francine Allain, directrice de Dag, pour la haute qualité de la programmation. « Ça fait du bien que la culture ne soit pas que des patates ! »
Quelques dernières flammèches, une pièce arrangée par Livingston. Puis ces trois « adulescents », revenus dans le garage de leur jeunesse mais avec un immense bagage de science et d’expérience, nous dirent au revoir avec un Django Reinhardt dont ils semblent avoir emprunté la philosophie : « Après avoir bien travaillé, surtout, ne pas oublier de s’amuser ! »